reproduction - site internet - concurrence déloyale - risque de confusion - copie - référencement - ressemblances - internaute - copie servile - détournement de clientèle - codes informatiques
FAITS
La société CNI exploite le site internet « alibabuy.com ». Ce site est un moteur de recherche indexant différentes données provenant de voyagistes en ligne pour permettre aux internautes de comparer les offres des dits voyagistes. CNI fait partie du groupe Easyvoyage.
Viaticum exerce une activité d’agence de voyage. Elle est présidée par M. D. qui est également président de la société Luteciel.
La société Luteciel a créé le site internet « passager.com » lequel est un comparateur de prix de billets d’avions et d’hôtels.
Considérant que le site « passager.com » était une copie servile de son site « alibabuy.com » qui lui portait préjudice, CNI a assigné en référé devant le président du tribunal de commerce de Paris Luteciel et Viaticum le 24 mai 2011.
Le président du tribunal de commerce ayant estimé « qu’il n’y avait pas lieu à référé », CNI a introduit la présente instance au fond.
PROCÉDURE
Dans son assignation en date du 26 octobre 2011, complétée par des conclusions en date du 30 mars 2012 et du 6 juillet 2012 et dans le dernier état de ses écritures, CNI demande au tribunal de :
Constater que la société CNI est titulaire de la marque Alibabuy régulièrement publiée et déposée et du nom de domaine identique,
Constater que les sociétés Luteciel et Viaticum se sont livrées et se livrent encore à des actes de parasitisme et de concurrence déloyale caractérisés et ont engagé leur responsabilité en application de l’article 1382 du code civil.
En conséquence,
Interdire aux sociétés Luteciel et Viaticum l’exploitation du site
www.passager.com tant que les contenus parasitaires et copies quasi serviles n’auront pas été supprimés et ce, sous astreinte de 1000 € par jour de retard à compter du jugement à intervenir, le tribunal se réservant expressément le droit de liquider ladite astreinte passé le délai d’un mois après la signification de la décision à intervenir,
Condamner in solidum les sociétés Luteciel et Viaticum à payer la somme de 220 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi constitué par le manque à gagner de l’exploitation du site
www.alibabuy.com,Condamner in solidum les sociétés Luteciel, et Viaticum à payer la somme de 400 000 € à titre de dommages et intérêts pour la néantisation et le pillage des investissements réalisés par CNI,
Autoriser la société CNI à publier sur la page d’accueil de son site
www.alibabuy.com le jugement à intervenir en son intégralité pendant une durée de 6 mois à compter du prononcé,
Ordonner la publication du jugement à intervenir aux frais des sociétés Luteciel et Viaticum in solidum dans cinq journaux, au choix de la société CNI sans que le coût de ces publications ne puisse être supérieur à la somme de 50 000 € H.T. cette somme devant être séquestrée entre les mains de Monsieur le Bâtonnier de l’Ordre des Avocats de Paris en qualité de séquestre sous astreinte de 3000 € par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir, Monsieur le Bâtonnier devant lui attribuer cette somme sur présentation des bons de commandes d’insertion des publications à intervenir,
Condamner in solidum les sociétés Luteciel et Viaticum à payer chacune à la société CNI la somme de 20 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens comprenant les frais d’huissier de constat et de signification, soit 7886,40 €, selon factures ci-jointes et de 700 € de frais de copie et d’impression,
Débouter les sociétés Luteciel et Viaticum de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,
Ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir.
Luteciel et Viaticum ont déposé des conclusions les 17 février et 6 juillet 2012. Dans le dernier état de leurs écritures Luteciel et Viaticum de demandent au tribunal de :
Dire et juger que la société Viaticum n’exploite pas le site
www.passager.com,Prononcer sa mise hors de cause,
Dire et juger que la société CNI n’apporte pas la preuve de l’antériorité, et de la distinctivité des éléments du contenu du site « alibabuy.com » dont elle se prévaut,
Dire et juger que ces éléments sont descriptifs et génériques, et ne peuvent donc créer avec le site « passager.com », un risque de confusion dans l’esprit du public,
Dire et juger qu’il n’existe pas de préjudice et notamment de risque de déréférencement lié à la technologie « Panda »,
Dire et juger en conséquence que la société Luteciel n’a commis aucun acte de concurrence déloyale, ni de parasitisme,
Débouter la société CNI de l’intégralité de ses demandes,
Condamner la société CNI au paiement de la somme de 17 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de Procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
L’ensemble des conclusions ont été échangées en présence d’un greffier qui en a pris acte sur la cote de procédure ou régularisées à l’audience de juge rapporteur.
A l’audience en date du 6 juillet 2012, après avoir entendu les parties en leurs explications et observations, le juge rapporteur clôt les débats, met l’affaire en délibéré et dit que le jugement sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 12 octobre 2012.
MOYENS
Pour faire valoir ses droits, CNI expose que :
Le site « passager.com » est exploité aussi par Viaticum qui signe des contrats concernant ce site internet « passager.com » est une copie servile « d’alibabuy.com » comme le montre le constat d’huissier,
Les changements effectués après l’assignation en référé ne portent que sur l’aspect visuel et non sur le codage des pages,
La confusion, qui a certes disparu pour l’internaute d’attention moyenne après l’assignation en référé, est demeurée pour les moteurs de recherche et notamment Google qui pénalise fortement les sites aux contenus qu’il considère identiques,
En l’espèce la copie du site « alibabuy-com » par « passager.com » a pour objectif de nuire au référencement d’ « alibabuy.com »,
Les conséquences futures de la copie servile fautive par Luteciel et Viaticum justifient la demande,
Les agissements fautifs ont causé un préjudice durant la période précédant le changement visuel de « passager.com » en semant la confusion vis-à-vis des internautes,
Parallèlement la similitude des codes informatiques a contribué et contribue encore au déréférencement d’ « alibabuy.com », ce qui cause un préjudice considérable compte tenu des investissements en argent et en temps consentis par CNI.
Pour leur défense Luteciel et Viaticum exposent que :
Viaticum qui n’exploite pas le site litigieux doit être mise hors de cause,
CNI n’établit pas l’antériorité du contenu de son site, son caractère distinctif et le risque de confusion,
Le risque de confusion doit s’apprécier au vu d’un consommateur d’attention moyenne et non d’un robot,
Pour montrer sa bonne foi « passager.com » a apporté des modifications,
Le préjudice n’est pas démontré.
DISCUSSION
Sur la demande visant Viaticum
Attendu qu’il n’est pas contesté que Luteciel et Viaticum ont le même dirigeant ; Mais attendu que s’agissant de personnes morales distinctes, elles ont leur autonomie juridique ;
Attendu que la faute alléguée par le demandeur est la mise en ligne du site « passager.com » qui serait une copie servile de son site « alibabuy.com » ;
Attendu qu’aucune pièce versée par le demandeur ne permet de considérer que Viaticum exerce une quelconque action pouvant influer sur le contenu du site « passager.com » ce qui justifierait le fait de l’attraire dans la cause ;
Attendu que dans ces conditions le tribunal déboutera CNI de l’ensemble de ses demandes envers Viaticum.
Sur la copie servile alléguée, constitutive de concurrence déloyale
a) Sur la copie servile éventuellement perceptible par l’internaute
Attendu que s’agissant de l’aspect visuel du site « passager.com », le demandeur a fait procéder des modifications en juin 2011 ;
Attendu que la version modifiée du site « passager.com » se différencie nettement du site « alibabuy.com » et que toute possibilité de confusion doit être exclue au jour de l’assignation ;
Attendu que CNI demande réparation du préjudice subi durant la période antérieure, ce qui implique de rechercher l’éventualité d’une confusion pour les internautes dans la période précédant le mois de juin 2011 ;
Attendu que considérant la période antérieure le demandeur ne verse pas d’éléments probants permettant d’établir une éventuelle confusion antérieurement à son constat du 16 et 17 mai 2011 ;
Que la période pour laquelle il prétend avoir subi un préjudice serait donc en tout état de cause très faible ;
Attendu par ailleurs que l’examen des pièces versées montre des similitudes mais qui sont essentiellement la conséquence du caractère générique des rubriques ;
Attendu que s’agissant d’une concurrence déloyale visant à détourner la clientèle abusée par la confusion, la faute suppose également d’avoir cherché à atteindre la clientèle que l’on souhaite détourner ;
Attendu qu’en l’espèce CNI indique elle-même à plusieurs reprises dans ses écritures que l’objectif de Luteciel n’est pas de développer une audience auprès des internautes mais de dégrader le référencement de ses concurrents ;
Que CNI elle-même n’a découvert l’existence de « passager.com » qu’en mai 2011 et reconnaît que le trafic dudit site est pratiquement nul ;
Attendu que dans ces conditions on ne peut retenir que Luteciel ait recherché à entretenir une confusion dans l’esprit des internautes en vue de détourner la clientèle de CNI ;
Le tribunal déboutera CN de ses demandes à ce titre ;
b) Sur la copie servile visant au déréférencement d’ « alibabuy » alléguée
Attendu que CNI considère que le site « passager.com » reproduit ses codes informatiques non visibles par l’internaute, ce qui va provoquer une réaction négative du moteur de recherche « Google » qui est la source essentielle de son trafic ;
Attendu qu’il n’est pas contesté par les parties que Google, pour améliorer la pertinence des réponses données aux internautes cherche à identifier les sites ayant un contenu identique pour les pénaliser, si les conditions dans lesquelles il autorise une telle duplication ne sont pas réunies ;
Attendu que cette contrainte est bien connue de l’ensemble des sociétés exploitant des sites internet sensibles au référencement Google, ce qui est le cas des parties à l’instance ;
Attendu que dans ces conditions, contrairement à ce que soutient Luteciel, la concurrence déloyale ne doit pas s’apprécier au regard de la seule confusion auprès des internautes mais de toute action déloyale visant à détourner la clientèle d’un concurrent ;
Attendu que l’on doit donc considérer que la mise en ligne d’un site internet, copie servile des codes informatiques d’un concurrent, dans le but de nuire à son référencement est un acte déloyal même si son aspect visuel ne porte pas à confusion pour l’internaute moyen ;
Attendu que s’agissant de codage informatique, non visibles par l’internaute, essentiellement présents dans les pages des sites internet pour être relevés par les moteurs de recherche et remarqués par leurs algorithmes, la notion de copie servile ne peut s’apprécier comme celle s’adressant aux cinq sens d’un consommateur ;
Que le tribunal doit donc disposer de données techniques fiables pour contrôler l’existence d’une copie servie alléguée ;
Attendu que l’article 6 du code de procédure civile dispose dans son deuxième alinéa « A l’appui de leurs prétentions, les parties ont la charge d’alléguer les faits propres à les fonder. » ;
Attendu qu’en l’espèce CNI se doit de démontrer que Luteciel a repris les codes informatiques du site « alibabuy » dans une proportion ne relevant pas de la simple similitude d’activité et dans une proportion suffisamment importante pour nuire à son référencement ;
Attendu que pour appuyer ses dires CNI ne verse pas d’expertise contradictoire permettant d’apprécier la réalité des similitudes et surtout son caractère anormal au regard des contraintes de l’algorithme de Google ;
Attendu que par ailleurs CNI qui demande la réparation d’un préjudice important conclut depuis plus d’un an en référé et sur le fond sur le risque considérable et imminent que fait courir le site « passager.com » a son site « alibabuy.com » ;
Attendu que, comme le souligne à juste titre CNI elle-même, les sanctions de Google pour les sites copiés sont rapides et sévères, notamment depuis la mise en place par Google de son nouvel algorithme « Panda » ;
Attendu que dans ces conditions CNI devrait au moins pouvoir apporter la preuve des conséquences du comportement fautif de Luteciel qu’elle allègue ;
Attendu qu’en l’espèce CNI n’est pas en mesure de démontrer que le référencement de son site ait souffert des agissements décrits ;
Attendu en effet que les variations à la baisse de son trafic mises en avant par CNI ne peuvent être retenues dans la mesure où :
Elles ne tiennent pas compte d’une éventuelle saisonnalité,
Elles ne précisent pas si les autres variables influençant le trafic (publicité, affiliation...) sont restées constantes,
Elles sont données en valeur absolue sans tenir compte de l’évolution du marché ;
Attendu que s’agissant de son classement dans le résultat du référencement de certains mots-clés sur Google, CNI qui connaît parfaitement l’impossibilité de garantir un classement pour un mot-clé dans un référencement dit « naturel » ne peut démontrer que le changement très minime qu’elle a subi puisse être le résultat d’une action qu’elle qualifie elle-même de potentiellement catastrophique ;
Attendu que dans ces conditions on ne peut considérer que CNI ait répondu à la condition fixée par l’article 6 du code de procédure civile et démontré de manière probante les comportements déloyaux de Luteciel qu’elle allègue ;
Le tribunal déboutera CNI de l’ensemble de ses demandes au titres de la concurrence déloyale ;
Sur les autres demandes
Attendu que l’équité commande de ne pas faire application de l’article 700 du CPC ;
CNI sera condamnée aux dépens ;
DÉCISION
Le tribunal, statuant publiquement en premier ressort par jugement contradictoire,
déboute la société CNI de ses demandes,
déboute les parties de leurs demandes au titre de l’article 700 du CPC,
condamne la société CNI aux dépens.
Le tribunal : M. de Maublanc (président)
Avocats : Me Maillot, Me Arnaud Dimeglio
Notre présentation de la décision