05 octobre 2016
Photovoltaïque : lourde condamnation de Cofidis et des dirigeants de BSP
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47 Licence CC Trebosc
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Des centaines de clients floués par l’entreprise BSP, spécialisée dans l’installation de panneaux photovoltaïques, et déclarée en liquidation judiciaire en janvier 2010, attendaient avec impatience que ses dirigeants, ainsi que la société de prêt à laquelle ils étaient liés, soient jugés. C’est chose faite depuis le 29 septembre.
La société BSP a été immatriculée au RCS d’Avignon le 27 juillet 2006. Elle a été liquidée en janvier 2010, avec un passif de 32 millions d’euros, auprès de plus de 600 créanciers. Au 1er juin 2010, elle avait fait l’objet de 167 plaintes auprès de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).
Les clients, qui avaient été démarchés par téléphone, puis à leur domicile, afin qu’ils installent des panneaux photovoltaïques sur leur toit, se plaignaient de ce que les installations ne fonctionnaient pas: le matériel livré n’était pas celui prévu au contrat, la pose n’était pas conforme aux règles en vigueur; les panneaux, s’ils marchaient, ne fournissaient pas le rendement attendu, du fait de l’absence d’études sérieuses de rentabilité, comme l’a constaté à plusieurs reprises le cabinet d’expertise Greenkraft.
En outre, les clients ne bénéficiaient pas des règles protectrices du code de la consommation : ils recevaient les panneaux avant l’expiration du délai de réflexion de sept jours, ils devaient signer simultanément le bon de commande et un contrat de crédit associé, auprès de la société Sofemo.
Et pour cause: le 30 juin 2008, BSP avait signé avec Sofemo un contrat prévoyant que cette dernière verserait à BSP une commission liée au nombre de crédits qui seraient souscrits; les vendeurs de BSP étaient formés par Sofemo. Les offres de prêts n’étaient pas rédigées conformément aux normes protectrices prévues pour des crédits immobiliers. Le taux effectif global (TAEG) était souvent erroné. Enfin, Sofemo transférait les fonds à BSP sans vérifier si les travaux avaient été effectués.
Le parquet a donc poursuivi non seulement les responsables de BSP, mais aussi la société Sofemo, contrairement à ce qui s’était produit avec la société CESP, en juillet 2014.
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. Prison pour le patron, volatilisé
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Chaouki Bouskaya, le patron de BSP, a disparu le 4 avril 2014, après avoir indiqué à sa compagne qu’il allait acheter du pain. Cet homme né le 10 mars 1967 à Lyon n’a donc pas comparu devant le tribunal correctionnel d’Avignon (Vaucluse), lors du procès qui s’est tenu le 1er juin.
Ancien boxeur amateur, ancien portier de boîte de nuit, et exploitant de machines à sous, il est fiché au grand banditisme. Il a été acquitté du meurtre d’un truand, après cinq ans de prison. Il s’est reconverti dans le solaire en 2006 : une affaire qui ne pouvait que rapporter, les particuliers étant séduits par les crédits d’impôts, les aides régionales aux énergies renouvelables et le tarif avantageux de rachat de l’électricité par EDF.
En son absence, le tribunal l’a condamné, le 29 septembre, à deux ans de prison et au paiement d’une amende de 50 000 euros pour, notamment, pratique commerciale trompeuse, escroquerie et abus de confiance. Un mandat d’arrêt a été délivré à son encontre.
Son ancien directeur des ventes, Yannic Squivée, était en revanche présent. Il a été jugé coupable des même faits, mais condamné à deux ans de prison avec sursis seulement et à 30 000 euros d’amende; le tribunal lui a interdit définitivement d’exercer une profession commerciale ou industrielle.
Le tribunal a jugé que « la nature des faits commis par deux dirigeants sans formation particulière qui ont investi un secteur professionnel porteur, dans l’intention manifeste de percevoir en peu de temps des revenus importants, en s’affranchissant de toutes les règles juridiques et commerciale, le nombre de victimes de ces agissements, et la personnalité des prévenus justifient une application ferme de la loi pénale ».
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. Sofemo absorbée par Cofidis
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Par acte du 22 avril 2015, la société Sofemo avait été citée à comparaître, des chefs de pratiques commerciales trompeuses sur la nature et le coût du crédit, et d’infractions aux règles régissant le crédit immobilier. A l’audience du 9 septembre 2015, son avocat a demandé un renvoi. A celle du 3 février 2016, il a expliqué que Sofemo n’existait plus : elle avait été absorbée par une autre filiale du Crédit mutuel, Cofidis.
Cette nouvelle a suscité un tollé chez les avocats des parties civiles, qui ont réclamé la comparution de Cofidis. La présidente du tribunal, mécontente, a imposé un nouveau renvoi et assigné Cofidis. A l’audience du 1er juin, Cofidis a soutenu que l’ « action publique est éteinte du fait de la fusion-absorption qui a fait perdre à la société absorbée son existence juridique »; elle a affirmé que »la société absorbante ne peut être déclarée coupable en vertu du principe de personnalité de la responsabilité pénale » – , une personne ne peut-être punie pour une infraction commise par une autre.
Le tribunal a jugé que si le principe de personnalité des peines « s’applique strictement aux personnes physiques », il a connu une « évolution jurisprudentielle en matière économique ». Il a cité dans ce sens un arrêt de la chambre de commerciale de la Cour de cassation du 21 janvier 2014, une réponse du Conseil constitutionnel à une question préjudicielle de constitutionnalité, en date du 18 mai 2016 et un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, en date du 5 mars 2015.
En évoquant le caractère « éventuellement frauduleux de la fusion-absorption de Sofemo par Cofidis, finalisée dans le courant de la procédure pénale« , il a jugé que Codifis « doit répondre des poursuites engagées contre Sofemo ». A ce titre, il l’a condamnée à une amende de 100 000 euros. Surtout, il a condamné solidairement Cofidis et les deux dirigeants de BSP à payer la créance du mandataire liquidateur de BSP… laquelle s’élève à près de
1,3 million d’euros. Les deux dirigeants étant respectivement introuvable et insolvable, seule Cofidis pourra payer. Elle a déjà fait appel.
On notera que Cofidis n’hésite pas, sur le plan civil, à poursuivre les anciens clients de Sofemo en expliquant qu’elle « vient aux droits » de cette scociété. C’est ainsi que les époux Lemichel, dont nous avions raconté l’histoire dans l’article intitulé la galère des victimes du photovoltaïque , et qui avaient souscrit un emprunt auprès de Sofemo, sont aujourd’hui acculés à vendre leur maison, par Cofidis. Des victimes de BSP dans le Var, réunies en collectif, ayant contracté avec Sofemo et poursuivies par Cofidis, ont obtenu l’annulation de leurs contrats devant le juge de Draguignan.
Les avocats des parties civiles approuvent l' »audace » du jugement pénal, mais déplorent que ce soient Chaouki Bouskaya et Yannic Squivée qui aient été condamnés à rembourser leurs clients… L’un est en fuite et l’autre insolvable… Quant au mandataire, il remboursera en priorité d’autres créanciers, sociaux ou fiscaux. Les victimes pourront peut-être recouvrer une partie des indemnités allouées (1 000 euros) en s’adressant au Service d’aide au recouvrement des victimes d’infractions (Sarvi).
Maigre consolation.
Lire aussi la chronique Sosconso, dans Le Monde en date du samedi 8 octobre (Abonnés)
(Journal LE MONDE)