PALUDIER : Nécessaire à la vie, jadis à la conservation des aliments, monnaie d’échange dès l’Antiquité, le sel est aussi précieux qu’incontournable. Au sein des marais salants, véritable prodige technique, les paludiers, ces travailleurs du sel, constituent une société bien spécifique.
Un savoir-faire complexe
En hiver et au printemps, le paludier entretient la saline : il raye (débourbe) et habille (nettoie) les bassins, colmate les brèches. Dans le sud, le sel est ramassé en août dans les bassins asséchés. Sur le littoral atlantique, on récolte tous les jours de juin à septembre. Des œillets encore en eau, le paludier sort deux types de sel : un sel fin de surface, la fleur, et le sel gris en profondeur. Il utilise une sorte de râteau en bois à long manche : le lasse.
Le sel est ensuite acheminé jusqu’au tremet par les porteresses qui le portent "à la guède", dans un récipient de bois posé sur leur tête. Le tas de sel, ou mulon, est mis en sacs pour être livré au propriétaire. Il ne reste plus qu’à laver, graisser et remiser le matériel. En outre, il faut parfois réparer les digues ou chausser les œillets (le chaussage consiste à rétablir le niveau initial des bassins envasés).
Mais le paludier assume bien d’autres tâches : il cultive des champs, élève des animaux, ramasse des coquillages et poissonne lors du rayage des vasières.
L’argent du sel
Source de recettes fiscales dès l’Antiquité, le sel est soumis en France à la gabelle dès 1343. Touchant une denrée de première nécessité, cet impôt, qui ne sera aboli qu’à la Révolution, est très impopulaire. Chaque foyer doit acheter une certaine quantité de sel, le sel du devoir. Il existe selon les régions six régimes de perception, allant de l’exemption totale jusqu’à l’imposition la plus lourde (pays de grande gabelle). Ce système compliqué engendre une contrebande active. Les faux-sauniers sont légion malgré la sévérité des peines encourues. En outre, les propriétaires de paluds paient des redevances féodales et la dîme. Sa perception est parfois affermée à des paludiers jurés chargés d’expertiser la récolte et de prélever l’impôt.
Malgré ces prélèvements fiscaux, le sel est une source d’enrichissement et de spéculations pour les propriétaires. Ainsi, certaines récoltes sont-elles stockées plusieurs années dans des mulons d’amas, énormes tas de sel recouverts d’une coque de glaise durcie, avant d’être vendues au plus haut des cours.
Les hommes et les femmes du sel
Le paludier (du latin palus, marais) est celui qui travaille dans les marais, le saunier désignant plutôt le négociant en sel. C’est un métayer qui exploite des salines nobles ou ecclésiastiques. À partir du XVIème siècle, la haute bourgeoisie achète ces terres qui leur donnent fortune et prestige. Enfin, il existe une petite propriété paludière parfois réduite à un seul œillet. En position dominante, le propriétaire peut licencier son paludier ou le mettre à l’amende s’il s’estime lésé. Mais, souvent parrain de ses enfants ou témoin à son mariage, il tisse des liens étroits avec lui. Les fils succèdent souvent à leurs pères sur la même saline.
Extrait du chapitre concerné, dans l’ouvrage Mers et Marins en France d’Autrefois, Archives et Culture.