Efficace durant trente ans
GASPILLAGE • La date de péremption dit jusqu’à quand le fabricant garantit qu’un médicament est actif. Bien souvent, il l’est encore des années. Liliane Maury Pasquier a interpellé le Conseil fédéral.
Alors que Vaud et Fribourg ont pu conserver leurs stocks de Tamiflu en demandant au fabricant Roche une prolongation de deux ans, Genève a pour sa part détruit cet automne ses 900 boîtes qui parvenaient à expiration, lesquelles avaient coûté 27 000 francs. Cette information, révélée lundi par la Radio romande, met en cause les dates de péremption des médicaments, accusées d’être restrictives. Une polémique qui vient d’avoir lieu dans les médias au sujet de l’industrie alimentaire. Le Tamiflu avait déjà été le déclencheur d’un postulat de la conseillère aux Etats (PS/GE) Liliane Maury Pasquier, lorsqu’en 2009 une prolongation de cinq à sept ans de la durée de conservation de ce remède contre le virus de la grippe A avait été acceptée en Suisse. La sénatrice demandait au Conseil fédéral «d’établir un rapport sur les mesures qu’il serait possible d’entreprendre pour que la date de péremption se rapproche le plus possible de la durée réelle de validité des médicaments et pour empêcher que celle-ci ne soit abusivement courte».
Alors que les primes maladie explosent, il s’agit selon elle d’éviter un énorme gaspillage… bénéficiant aux entreprises pharmaceutiques.
Efficace durant trente ans
Le cas du Tamiflu a fait prendre conscience d’une réalité: la durée de validité ne correspond pas forcément à la période pendant laquelle le médicament est pleinement actif, mais seulement à une période pendant laquelle le fabricant garantit son action. Celuici fixe cette temporalité sur la base de tests qu’il a effectués, validés ensuite par l’autorité de contrôle fédérale Swissmedic.
De manière générale, ces tests dits de stabilité portent sur une période de deux à cinq ans, s’appuyant sur les lignes directrices de l’ICH (International conference on harmonisation of technical requirements for registration of pharmaceuticals for human use) notamment reconnues par les autorités européennes et américaines. En réalité, «rien ne dit que la durée d’action d’un médicament ne pourrait pas être plus longue, mais, simplement, on arrête de l’attester», déplore Mme Maury Pasquier. Pour appuyer ses dires, elle s’était à l’époque fondée sur une étude conduite conjointement par la Food and Drug Administration et par le Département de la défense des Etats-Unis.
Celle-ci montre que le degré de puissance varie selon les médicaments et les conditions de stockage, particulièrement l’humidité, mais qu’un grand nombre de médicaments stockés dans des conditions raisonnables conservent 90% de leur puissance pendant au moins cinq ans après la date d’expiration figurant sur leur emballage.
Et parfois plus longtemps, jusqu’à trente ans. Bien sûr, tout dépend des conditions de conservation et des médicaments. Par exemple, les solutions liquides ne sont pas aussi stables que les formes solides. Quant aux antibiotiques, leur validité est beaucoup plus courte. Le risque, en consommant un médicament après sa date de péremption, est qu’il ne produise pas d’effet – avec des conséquences qui peuvent être très graves – ou même que sa dégradation entraîne des effets secondaires, explique Marcel Mesnil, secrétaire de Pharmasuisse, qui se veut prudent.
Car même si, en tant que professionnel, il lui arrive de consommer des médicaments au-delà de la date indiquée, il insiste: «Il se peut qu’un médicament reste longtemps très bon, mais seuls des tests peuvent le garantir et personne ne veut prendre cette responsabilité. »
Et surtout pas l’industrie pharmaceutique. Selon M. Mesnil, la principale raison d’une courte durée de conservation des médicaments est motivée par le principe de précaution suivi à l’extrême. «Les fabricants veulent éviter des procès!» «On est manifestement trop restrictifs», insiste Mme Maury Pasquier. Or 30% des médicaments vendus chaque année en Suisse ne sont pas utilisés, selon l’évaluation de l’Office fédéral de l’environnement, cité dans une enquête fouillée de L’Hebdo, parue cet été. Compilant d’autres sources, le magazine a estimé ce gaspillage entre 500 millions et 1,4 milliard de francs annuels!
Ne pas prétériter l’industrie Mais, pour le Conseil fédéral, la piste d’un allongement de la durée de vie des médicaments ne serait pas à étudier. Ce n’est que contraint par le Conseil des Etats qu’il a rédigé un rapport en réponse au postulat de MmeMaury Pasquier. L’administration y rappelle que Swissmedic peut seulement ordonner une diminution de la durée de conservation d’un médicament. En revanche, la législation ne lui permet pas d’exiger d’un fabricant l’inverse en ordonnant des essais complémentaires. Et c’est tant mieux selon le gouvernement. Car en imposant seule dans son coin à son industrie pharmaceutique des durées de conservation plus longues, la Suisse lui porterait préjudice en se singularisant sur le plan international.
L’avantage de délais longs
La Suisse devrait s’employer à faire évoluer les règles internationales, déplore Mme Maury Pasquier, qui explique la passivité du gouvernement par son intérêt à «ne pas chatouiller» la très puissante industrie pharmaceutique. Au contraire, les fabricants ont pour des raisons de logistique avantage à ce que les délais soient aussi longs que possibles, conteste le Conseil fédéral, reprenant dans son rapport un argument de l’Association des entreprises pharmaceutiques en Suisse. Des délais plus longs permettent de fabriquer de plus grandes quantités de stocks à un coût avantageux. Le risque de devoir détruire des stocks arrivés à échéance en serait également limité. Marcel Mesnil, pour sa part, va dans le même sens: «Quand des stocks chez des distributeurs comme Galenica viennent à échéance, les entreprises les remplacent à leurs frais.» Le problème du gaspillage des médicaments, affirme-til, vient avant tout des patients, qui, pour la moitié d’entre eux, ne respectent pas les prescriptions en n’allant pas au bout du traitement.
Rachad Armanios
http://www.amge.ch/2011/12/02/medicaments-leurs-duree-de-vie-est-abusivement-courte/